La liberté.
Par : Rachid Elaalem
La liberté est le fondement et le sens de notre existence, l'ontologie humaine s’oppose à l’idée du déterminisme : « il n’y a pas de déterminisme, l’homme est libre, l’homme est liberté », par cette affirmation, Sartre est clair, il rejette toute sorte de déterminisme ou fatalisme qui est une manière déguisée de ne pas assumer sa liberté, quelle que soit la situation, nous sommes libres de décider et de choisir cette liberté qui est la fondation de toutes les valeurs, nous retrouvons un point commun entre Bergson et Sartre, le premier dit dans son Essai sur les données immédiates de la conscience, que la liberté est une sorte « d’adhésion à soi » être libre non pas l’être qui échappe aux lois de la nature, en proposant des actes chaotiques, mais simplement l’être qui parvient à une lucidité sur soi et à un accord avec soi-même. Le deuxième pense dans le même sens que le succès n’est pas important par rapport à la liberté, un arbre n’est pas libre de choisir son destin, il doit vivre sa vie selon sa nature, on pourrait dire qu’un arbre « est condamné à ne pas être libre », toutefois Sartre admet que l’homme peut nier son libre arbitre, mais ce refus d’assumer sa liberté provoque un processus d’aliénation :
« Lorsque je déclare que la liberté à travers chaque circonstance concrète, ne peut avoir d’autre but que de se vouloir elle-même»
Ça veut dire que l’homme se retrouve, dans chaque moment, dans chaque situation face à un exercice effectif de la liberté, la liberté n’est jamais atteinte, elle n’est pas un but en soi, mais un processus existentiel à travers lequel l’homme se refait et s’invente, bien que la liberté est absolue chez Sartre, elle n’est pas arbitraire ou capricieuse, elle n’est pas quelque chose qu’on pourrait obtenir ou acheter, ou même faire des efforts pour la mériter, elle fait partie de l’idée de néant _que nous analyserons dans la deuxième partie de notre travail. La liberté est toujours à faire, elle n’est donc concevable qu’en terme de projet ou de fin de l’individu :
« Un homme qui adhère à tel syndicat communiste ou révolutionnaire, veut des buts concrets, ces buts impliquent une volonté abstraite de liberté ; mais cette liberté se veut dans le concret »
La liberté est un projet et l’homme n’existe que dans la mesure de son projet, c’est d’être confronté et forcé de choisir, car ne pas choisir, étant encore le choix fait de ne pas choisir, nier la liberté est désormais impossible.
Le pour-soi n’a pas d’essence ou de valeur autre que celle à travers laquelle s’engage dans ses choix en toute liberté, l’homme est libre, parce qu’il n’est pas un en-soi, mais une présence consciente d’elle-même, une présence à soi, un homme qui est ce qu’il est ne pourrait pas être libre, car il serait un en-soi, donc déterminé et figé par sa pleine liberté et sa pleine positivité, ses choix et décisions prises, seraient donc déterminé par avance, puisqu’il agirait en fonction de ce qu’il croit être s’il se considère ouvrier, il agira en fonction de l’image qu’il a de comment un ouvrier doit agir, il tomberait donc dans la mauvaise foi, pour Sartre _ nous allons le voir d’une manière claire dans la deuxième partie_ un être est plein et puisqu’il est plein, il ne contient aucune place pour la liberté, a contrario, le pour-soi est vide, c’est-à-dire qu’il porte le néant en lui, c’est ce néant qui rend possible la liberté, ainsi, la liberté affirme, Sartre : « La liberté n’est pas un être, elle est l’être de l’homme » c’est-à-dire celle d’un être qui est son être sur le mode d’avoir à l’être, la volonté de la liberté, se déterminer dans le cadre de mobiles et des fins déjà posées par le pour-soi dans un projet transcendant de lui-même vers ces possibles.
Pour Sartre, la liberté est un pouvoir de néantisation, comme un dépassement du donné (l’homme est un pour-soi) néantiser signifie : créer des possibles au sein du monde tel qu’il est figé, c’est y introduire la liberté, mais l’homme selon Sartre, supporte mal le fardeau de la liberté, il invente ainsi des échappatoires, des esquives, des dérobades, des subterfuges, notamment la mauvaise foi, comme nous l’avons noté dans le chapitre précédent, l’homme fait de la facticité son excuse pour se faire en soi, il distingue six morales de facticités, c’est-à-dire de déterminations pesant sur l’homme ; le fait de naître dans une société et une époque donnée, le fait d’avoir un corps, d’avoir un passé, d’exister dans un monde qui nous préexiste, d’exister parmi d’autres sujets (questions d’intersubjectivité), et le fait de mourir. Afin d’assumer le poids de la liberté, il faut assumer notre contingence. La liberté n’est pas une propriété de la nature humaine, elle est : « l’étoffe de mon être » dit Sartre, puisque la question de mon être est limitée par mon être, une compréhension de la liberté donc s’impose ;
« Dire que l’homme est libre signifie négativement que l’homme n’est pas une chose et que ses actions, comme ses passions, ne relèvent en aucune manière d’un principe transcendant tel que la nature, la société, le corps ou l’inconscient psychique, positivement que la liberté est l’être de l’homme en tant que perpétuel arrachement à ce qu’il est selon un projet qui lui est proposé, c’est pourquoi l’important, n’est pas ce qu’on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous »
Donc la réalité humaine, se construit sur une conscience du « pour-soi » parce qu’être pour le pour soi, c‘est néantiser « l‘en soi » qu‘il est, c‘est le processus conscient de cette néantisation qui mène à la liberté, et qui permet au pour soi de se libérer de son essence en se projetant vers ces possibilités existentielles.
Article tiré de l'essai : La liberté chez Sartre, pour les non-philosophes
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Sans Dieu, ni nature.
Par : Rachid Elaalem
L'idée selon laquelle l’existence précède l’essence, forme une barrière empêchant la recherche d’un au-delà acteur et agissant sur la liberté ou de faire référence à une quelconque notion de nature humaine, la définition de la nature humaine selon Sartre est la définition de l’essence de l’homme car si l’on pouvait attribuer des actes d’agir à la nature humaine, selon lui, il ne ferait pas de sens de dire qu’il n’y a pas d’essence. Sartre n’affirme l’existence que d’un seul déterminisme, celui d’être libre, celui qui fait de l’homme un pour-soi. Dans un article consacré à l’expérience intérieure de Georges Bataille. Sartre évoque « la mort de Dieu », il dit :
« Dieu est mort, n’entendons pas par ça qu’il n’existe pas, ni même qu’il n’existe plus, il est mort, il nous parle et il se tait, nous touchons plus que son cadavre»
Dans cette déclaration sartrienne influencée par Nietzsche, il voulait montrer que l’existentialiste n’est pas celui qui s’épuise à prouver l’existence ou non de dieu, mais celui, pour qui, il n’y a pas de valeurs qui lui préexistent et qui pourrait lui servir pour justifier ou excuser ses actes. Il s’oppose à deux théories principales, premièrement; il rejette en bloc la théorie qui fait du moi, une substance, un moi qui aurait des qualités attribuées par dieu, et la théorie créationniste qui stipule que le monde et les êtres vivants ont été créés brusquement, que l’homme est déterminé, et qu’il doit suivre les préceptes moraux qui viennent d’une essence divine, deuxièmement; Sartre s’oppose à l’identification du moi avec une quelconque nature humaine universelle ou transcendantale, l’être humain, selon lui, est dépourvu d’essence, et puisque la vie n’a pas de chemin préétabli par un pouvoir supranaturel ou par une entité transcendante, ainsi le futur est à construire, c’est à l’homme d’agir selon sa volonté au-delà de toute transcendance, l’homme est jeté dans le monde, par contingence, et même si une entité transcendante avait doté l’homme d’une essence de par sa conscience, l’être humain ne pourrait pas ne pas avoir la possibilité de remplacer l’essence qui lui avait été donnée, il en conclut que l’être humain ne possède aucune essence.
L’athéisme idéaliste de Sartre est un athéisme limité à l’abandon, d’une idée sans que cet abandon affecte son rapport au monde. L’absence de dieu devrait se lire partout, Sartre passe progressivement d’un athéisme idéaliste à un athéisme matérialiste qu’il nomme « l’univers vu sans dieu »
L’athéisme sartrien exige une nouvelle conception de l’être qui ne peut être que le fruit d’une « ascèse existentielle» éradiquant méthodiquement tout reste ou vertige de la religion dans son rapport au monde, puisque nous sommes seuls et sans excuses, nous sommes condamnés à être libres, ce n’est pas un choix d’être libre, mais une condamnation existentielle, l’homme jeté dans le monde, il est responsable de ce qu’il fait, sans dieu, ni valeurs. L’athéisme de Sartre, comme nous l’avons signalé, ce n’est pas un athéisme qui cherche à prouver la non-existence de dieu, il veut simplement montrer que même si dieu existait, rien ne peut sauver l’homme de lui-même. La conception existentialiste de Sartre met l’accent sur la question philosophique de l’identité et de la subjectivité, selon elle, il n’y a pas de sujet métaphysique qui précède l’expérience et la connaissance, il n’y a pas de moi, pas d’essence de l’homme, et le sujet n’est jamais transcendant.
L’absolu de l’existence humaine est la subjectivité, la seule chose qui me définit, c’est la série de mes actes dans le temps. L’homme est continuité dans le temps et le fondement absolu de l’être émane de la subjectivité du pour-soi. Pour Sartre, si l’homme a un dehors, une nature, un attachement à une transcendance, alors il sera impossible de donner un sens à son existence, l’homme n’est rien, une table rase, au sens où, c’est à lui-même de se définir. Affirmer l’inverse, revient à réintroduire dieu, si un tel être précéderait l’existence de l’homme et les êtres humains seraient par conséquent son œuvre et leur finalité serait dictée par dieu, cependant pour Sartre, nulle divinité n’a pu créer l’humain, aucune force suprême ne peut nous sauver du mal, de la souffrance, de l’exploitation, de l’aliénation et de la destruction, aucun au-delà non plus pour justifier quelque bien ou quelque vérité que ce soit, totalement délaissé, l’être humain est absolument responsable de son sort, ainsi, chaque choix que j’accomplis, m’appartient en propre, ultimement, puisqu’il n’y a aucun dieu, notre existence se déroule en une succession de libres choix qui ne sont jamais entièrement justifiables, s’inspirant de Karl Marx, Sartre nous invite donc à définir l’être humain par les actions qu’il produit plutôt que par des idées ou des croyances.
Dans « La nausée », un roman philosophique et partiellement autofictionnel publié en 1938. Sartre montre que quand dieu est mort, les hommes s’en sentent longtemps orphelins et qu’il leur faut acquérir ce dont Roquentin est encore bien incapable « La grande santé », au sens nietzschéen, pour pouvoir affronter une liberté sans modèles, sans places définies préalablement. Pour l’existentialisme sartrien, l’être humain est toujours à la recherche de sa liberté, de son essence et de son identité, il vit au-delà de lui-même dans un dépassement vers les autres, vers l’avenir et des projets portés par l’espoir.....
Article tiré de l'essai : La liberté chez Sartre, pour les non-philosophes
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L'homme révolté
Par : Rachid Elaalem
Dans L’homme révolté, la liberté est intrinsèquement liée à la révolte historique considérée par Camus comme une exigence des actes révoltés menés au cours des siècles, en même temps, nous devons distinguer les différentes natures que Camus présente de la liberté : il y a « une liberté intérieure » et « une liberté extérieure ». La liberté intérieure est le pouvoir d’autodétermination, le désir de vouloir agir et de pouvoir le faire, ce type de liberté rend claire la dualité entre agir ou ne pas agir.
Cependant Camus décide de ne pas se concentrer sur ce type de liberté puisqu’il n’approfondit ni la volonté ni le libre arbitre de l’individu. Il consacre son analyse à ce que nous entendons par « liberté extérieure », il s’agit de la liberté d’accomplir un acte sans être soumis à des forces extérieures, cette liberté témoigne d’une libération face aux contraintes physiques, civiles, morales ou politiques. Camus s’oppose au concept sartrien qui conçoit la liberté comme quelque chose d’égale pour chaque homme et comme absolue, pour lui, la liberté n’est pas absolue, l’homme doit nécessairement fixer certaines limites à la liberté, les limites seront comme les droits de l’autre qui empêchent l’individu d’avoir une liberté absolue « La théorie de l’acte gratuit couronne la revendication de la liberté absolue », il pense contrairement à Sartre que le désir d’obtenir une liberté absolue est dû au nihilisme qui proclame la prémisse que si rien n’a d’importance, tout vaut, ce qui permet le crime et le meurtre.
Camus rejette l’idée de céder au nihilisme parce que cela pourrait conduire à la recherche d’une liberté absolue qui propagerait le chaos dans la société et l’imposition d’un régime totalitaire dans le domaine politique, c’est pour cette raison que l’auteur considère que l’absence de barrières dans la liberté ne peut que conduire au crime et au chaos de la société : « la liberté totale, celle du crime en particulier, suppose la destruction des frontières humaines ». Camus aborde cette question dans sa pièce de théâtre Caligula en 1945.
Une fois qu’il est devenu clair que la liberté ne peut être absolue, l’homme doit travailler sur les limites qu’il va placer et sur ses justifications, pour éviter que la justice ne soit éliminée, l’individu doit donc se conformer à la loi, qui sera le moyen de limiter les actions de l’homme avec l’intention de les rendre justes pour le domaine collectif, Nous ne pouvons pas vivre dans un monde sans loi, l’existence même implique une loi naturelle « Vivre sur une terre sans loi est impossible parce que vivre suppose précisément une loi»
La liberté chez Sartre comme nous l’avons relevé dans notre deuxième partie, s’appuie sur les aspects de l’action dans les situations et suggère que chaque homme a une liberté absolue d’agir dans sa situation, alors que chez Camus la liberté s’appuie sur l’absurdité, dans la mise en scène et la voix directe de l’acteur, illustrant que la liberté n’est pas absolue pour tout le monde, « nous appellerons liberté un climat politique où la personne humaine est respectée dans ce qu’elle est comme dans ce qu’elle exprime», pour analyser cette dimension importante, il prend comme exemple les principaux événements qui ont marqué l’histoire de l’occident comme : la révolution française, la révolution russe ou encore les régimes totalitaires du XXe siècle. Camus estime qu’aucune idéologie ne doit dicter aux hommes la conduite qu‘ils doivent suivre même si elle se cache derrière le progrès et le bien général de la société, la liberté politique consiste à ne pas tolérer qu’un autre homme pense pour un autre, l’individu doit agir seul dans les limites préalablement fixées par la société, mais sans être contraint par les ordres d’un autre homme qui lui refuse totalement ou partiellement sa liberté, l’autre manifestation principale de la liberté sera sa capacité de la libre expression, Camus défend ce type de liberté avec acharnement, en soulignant la nécessité qui existe parfois de se révolter, ainsi que d’élever la voix pour réclamer ce qui nous appartient.....